Le 7 ème art par Pierre D'Archelet
Juré n°2
Il y a toujours une petite appréhension quand on annonce le dernier Clint Eastwood car après quelques chefs d’œuvre, il y a eu aussi ces dernières années des films plus mineurs où le traitement du fait divers tenait plus de la chronique du temps présent que de l’art cinématographique. Mais pour son quarante-et-unième film et à l’âge de 94 ans, le maître s’est souvenu qu’il était un cinéaste pas comme les autres et que le cinéma, c’était surtout de la forme et du fond. Et le fond, c’est d’abord de proposer un scenario dont le public se saisira avec gourmandise sans rechigner ni pointer d’un doigt accusateur la quasi impossibilité de se réaliser. La forme, c’est d’abord s’éloigner du formalisme plat du téléfilm et se servir de sa caméra comme d’un pinceau, d’un stylo pour imposer à son œuvre sa propre grammaire. Et dans « Juré n°2 », derrière un classicisme élégant, tout est là.
De nos jours, dans une jolie petite ville champêtre où tout est propre et bien rangé, un jeune couple modèle s’apprête à accueillir leur premier enfant. Après le générique où Thémis est représentée avec les yeux bandés et sa balance de la Justice, c’est Justin Kemp (Nicholas Hoult) qui bande les yeux de sa femme, Allison (Zoey Deutch) pour lui faire découvrir la chambre du bébé qu’il vient de terminer. C’est tendre, charmant et… légèrement inquiétant car ce genre de « so cute » n’annonce jamais rien de bon. Justin reçoit alors une convocation pour être juré lors d’un procès criminel qui fait la une des journaux et dont toute la ville parle. La grossesse à risque d’Allison ne sera pas un argument suffisant aux yeux de la présidente du tribunal pour que Justin échappe à son devoir de citoyen. Il assiste donc avec ses onze collègues d’infortune, presque tous aussi contrariés que lui, au procès de James Sythe (Gabriel Basso), accusé d’avoir sauvagement frappé Kendall, sa petite amie de l’époque et d’avoir jeté son corps par dessus un pont routier un soir d’orage et de dispute dans un bar de la ville. L’affaire est simple et d’ailleurs la procureure, Faith Killebrew (Madame Toni Colette) veut se servir de cette affaire pour sa campagne en vue de son élection au poste de procureur général. Le suspect est idéal : James Sythe est un ancien criminel, violent avec les femmes et les témoins ne manquent pas dans le bar où il s’est violemment opposé à Kendall. Seul manque un témoignage précis sur le moment exact où la victime a été tuée, dans l’obscurité de la nuit, sur cette route balayée par une pluie battante. Mais plus le déroulé des faits est exposé et plus Justin Kemp se sent mal à l’aise. S’il n’a pas suivi ce fait divers, c’est qu’à l’époque du crime, son couple subissait une terrible épreuve et Allison et lui ne se souciaient pas de ce qu’il se passait en ville. Justin se souvient qu’à la même époque, il s’était arrêté dans le même bar et avait commandé un verre (sans le boire) et était reparti sous le déluge. Quelques centaines de mètres plus loin, sur un pont, il avait percuté quelque chose, un cerf probablement… Il en avait parlé à Allison en faisant juste un petit mensonge sur le lieu de l’incident puis ils avaient oublié. C’est donc le début d’un débat intérieur infernal pour Justin, qui de jeune gars bien sous tous rapports peut se transformer en salaud ou en héro.
Le choix de Nicholas Hoult pour incarner ce gendre idéal torturé par sa culpabilité est une très très bonne idée il fallait une sorte d’angélisme naturel du personnage pour que le spectateur soit dans une empathie totale et presque coupable. Le reste de la distribution, entre acteurs de premier plan et inconnus est un régal puisque le réalisateur leur fait le cadeau de développer leurs personnages où chacun d’eux aura un rôle important à jouer. En moins de deux heures, c’est une multitude personnages qui va vivre ce procès avec chacun leur prisme particulier, leur propre subjectivité, leurs doutes et leurs soupçons pour arriver à un verdict qui correspondra à la vérité, à une nécessité ou à rien de tout ça ? Clint Eastwood avait tourné son « Minuit dans le jardin du bien et du mal » dans cette même ville de Savannah en Georgie… C’est manifestement un bel endroit pour réfléchir sur les cas de conscience et la notion même du bien et du mal.
Le Comte de Monte-cristo
Peut-être reste-t-il quelques personnes qui n’ont pas vu le Comte de Monte-Cristo lors de sa sortie triomphale lors de l’été 2024… Et comme il y a fort à parier qu’il sera encore en salle ici ou là jusqu’à la fin de l’année, peut-être est-ce l’occasion pour ces rares chanceux de se faire plaisir avec un shot d’élixir de jeunesse… de ceux qui renvoient à nos souvenirs d’enfance quand un adulte nous emmenait, fait exceptionnel, au cinéma pour voir LA grosse production de l’année, qu’elle soit américaine et spectaculaire ou quasi institutionnelle, via l’adaptation d’un classique de la littérature française. Car avec cette énième adaptation de Matthieu Delaporte et d’Alexandre de la Patelière, on retrouve le sourire béat et les frissons d’excitation qu’on ressentait enfant devant un spectacle grandiose qui nous saisissait, nous transportait, nous élevait et nous reposait sur notre fauteuil haletant, épuisé et heureux. On avait pu goûter en hors d’œuvre leurs deux volets des « Trois Mousquetaires » où les deux associés n’étaient « que » scénaristes mais en prenant les commandes de la réalisation, ils ont su donner ce supplément d’âme qui fait de « Monte-Cristo » plus qu’une adaptation réussie, un authentique nouveau classique du cinéma. La finesse de jeu et l’élégance innée de Pierre Niney vont comme un gant à ce pionnier des vengeurs (à peine) masqués et tout le reste du casting des adultes est aussi classieux que remarquable avec notamment le trio des traîtres, Morcef (Bastien Bouillon), Villefort (Laurent Lafitte) et Danglars (Patrick Mille) incarnés avec délectation par des acteurs au sommet. Mais comme toujours, c’est la jeune génération incarnée par Anamaria Vartolomei (Haydée), Vassili Schneider (Albert) et Julien de Saint Jean (André) qui surgit et frappe par son talent, son magnétisme et son aisance dans des rôles si codifiés que leur performance n’en est que plus sidérante. Et puis deux coups de cœur de plus… le toujours impeccable Pierfrancesco Favini en Abbé Faria et le travail du chef décorateur Stéphane Taillasson qui réussit à transformer la demeure de Monte-Cristo en palais onirique où on se plairait volontiers à faire son marché pour refaire la décoration de nos intérieurs.
L'amour Ouf
Quoiqu’on pense de Gilles Lellouche, il connaît le cinéma ou plutôt les cinémas. Il navigue ainsi depuis 28 ans entre comédies et drames, entre ses métiers de réalisateur, de comédien ou de bon camarade qui ne rechigne pas à aller faire des apparitions chez les copains. Et plus que dire qu’il connaît le cinéma, il l’aime. Et s’il fallait s’en persuader, bien que ses précédents films en attestaient déjà, il suffit de voir « L’amour ouf » pour comprendre à quel point Gilles Lellouche est imprégné de cinéma, américain évidemment mais pas seulement. Et c’est cette passion débordante qui fait de ce film un objet difficilement identifiable car on y trouve un mélange de tous les genres (c’est la tendance du moment qui finira, comme toutes les tendances, par agacer…) aimés du réalisateur avec la fougue et la maladresse d’un cinéphile adolescent. Et cette fougue, cet amour débordant, on les retrouve dans le scénario et cette vision rafraîchissante des amours incandescentes.
Années 80, Nord de la France. Clotaire (Malik Frikah), un adolescent rebelle et déscolarisé comme on ne le disait pas encore à cette époque, traîne avec son petit frère Kiki et leur copain Lionel et prennent un malin plaisir à aller insulter les élèves du lycée de leur quartier où ils ne mettent plus les pieds depuis longtemps. Jusqu’au jour où une nouvelle élève, Jackie (Mallory Wanecque) descend du bus et va directement à la confrontation avec Clotaire. C’est le coup de foudre.
Il va alors se passer beaucoup de choses dans la vie de ces jeunes gens et de ceux qui les entourent. Mais ce qui semble inévitable depuis le début, surtout après un prologue terrible, c’est que Clotaire va mal finir et que la belle romance avec Jackie sera compromise. Dix ans plus tard, Clotaire (François Civil) sort de prison pour un crime qu’il n’a pas commis mais endossé pour protéger le fils de son patron mafieux (Benoît Poelvoorde) et ne pense qu’à une chose, revoir Jackie. Cette dernière a épousé Jeffrey (Vincent Lacoste), un type apparemment « normal » qui s’avérera être aussi toxique que ceux qui le portent inscrit sur leur front. Malgré les protestations du père aimant, compréhensif mais très inquiet de son père (Alain Chabat), Jackie va finalement renouer avec Clotaire. Leur amour sera-t-il toujours aussi fort dix ans après ? Et les amants maudits sont-ils obligés de toujours finir comme Bonnie & Clyde ?
Oui, la première partie est un enchantement tant l’alchimie entre les jeunes acteurs est magique et nous fait (re)croire au grand amour. Oui, les parties musclées sont efficaces et dynamisent sans cesse ce Love Story trash, sorte de spin-off des descendants des Lequesnoy et des Groseille… Oui, le dialogue final entre Clotaire, Jackie et leur patron est un chef d’œuvre de sobriété, de puissance et d’acuité sociale. Oui, les numéros de comédie musicale sont aussi agréables à regarder que dispensables tant ils n’apportent pas grand chose mais c’est aussi ce qui participe au charme du film car cette folle admiration à tous les genres du 7ème art ne fait que coller à la candeur avec laquelle Gilles Lellouche dépeint l’amour et la possibilité qu’il rime avec toujours.
Lee Miller
Les cinéphiles du monde peuvent rendre grâce à toutes ces actrices et acteurs qui cherchent désespérément à échapper tout au long de leur vie au poids d’un succès fulgurant qui aura marqué pour le meilleur et pour le pire leurs débuts à l’écran. Il en est ainsi de Kate Winslet. Et c’est dans un biopic consacré à la photographe de guerre américaine Elizabeth « Lee » Miller que l’actrice continue son travail de déconstruction du rôle de Rose. Quoique… On pourrait croire que dans la prolifération actuelle de biopics, un de plus passerait inaperçu mais c’est le contraire qui se produit. Car de Lee Miller, en dehors du milieu pointu des photographes et des correspondants de guerre, le grand public ignore tout. Et c’est la première vertu de ce long métrage, réalisé par Ellen Kuras (documentariste expérimentée dont c’est la première fiction) et coproduit par Kate Winslet, celle de faire renaître cette femme insaisissable, belle, sauvage, libre et intrépide que la petite histoire – ingrate – avait presque effacée alors qu’elle a été un témoin important de la grande Histoire.
Lee Miller commence sa vie aventureuse comme mannequin dans le Paris des années 20 et devient la muse-maîtresse de Man Ray dont elle exécute certaines des photographies qu’il signe de son nom.
De moins en moins mannequin et de plus en plus photographe, Lee fréquente les surréalistes, les poètes français et toute une société artistique et créative qui agite les grandes capitales dans cet après-guerre que tous espèrent sans fin sans savoir évidemment qu’il ne s’agit que d’un entre-deux… Après une séparation houleuse avec Man Ray, quelques retours à New York et un mariage express au Caire, Lee revient à Paris où elle rencontre Roland Penrose, écrivain poète surréaliste britannique avec lequel elle s’installe à Londres au début de la guerre. Avec le soutien de Audrey Withers, géniale rédactrice en chef du Vogue anglais, elle finit par être accréditée par l’armée américaine comme correspondante de guerre et part sur le front, du débarquement, en passant par le siège de Saint Malo, Paris, Colmar, l’Allemagne dévastée puis les camps de l’horreur. Durant le chemin, elle retrouve David Sherman, correspondant de guerre pour le magazine Life, précieux compagnon de route puisque David est son camarade de front, complice, collègue et « amant de guerre ». Et c’est lui qui immortalisera Lee, se lavant de la crasse accumulée pendant ce périple de la mort dans la baignoire de Hitler, dans son appartement de Berlin, le jour même où le dictateur se suicidait dans son bunker.
Si le film est d’une facture très classique, très… britannique, ce n’est pas un handicap au contraire, car il laisse la place aux multiples facettes de cette femme dont la vie aura été encore plus riche et surprenante que ce que le film en montre. Mais le casting royal, Alexander Skarsgard (Penrose), Andy Samberg (David Sherman) et Andrea Riseborough (Audrey Withers) est évidemment le plus gros atout de ce biopic sans parler du casting français (Cotillard, Mille, etc…) pour les heures heureuses avant guerre ou encore de Josh O’Connor (Antony Penrose), lequel fait une apparition délicate en interviewer de Lee Miller âgée et qui sert de ponctuation à la narration du film. A la fin, on aura donc appris que Lee Miller a bel et bien existé, qu’elle a eu mille vies et mené mille combats (dont le plus grand, qu’elle a gagné, contre ses addictions) mais on reste un peu intimidé fasciné, amoureux et gauche devant ce portait d’une femme qu’une vie entière n’aurait pas permis de cerner. C’est peut-être cela être surréaliste.
Emilia Perez
Il faut sans doute avoir 72 ans, être adulé par un public fidèle, être fasciné par la noirceur des âmes mais être un incurable romantique, pour oser tout. Depuis ses débuts, Jacques Audiard ne cesse d’explorer les genres pour mieux surprendre les spectateurs de ses films qui attendent avec fébrilité à quel genre le réalisateur va s’attaquer pour son prochain opus. En 2024, il a choisi de ne pas choisir et de jeter dans le chaudron de son projet un peu tous les styles sans se décider à les départager. Ainsi s’il y a bien de la comédie musicale dans « Emilia Perez », il y a aussi du film de gangsters, de la chronique sociétale, de la comédie (un peu), du film dramatique (beaucoup), de la romance à l’eau de rose, le tout lié par un désordre qui à la fin, laisse plus de questions que de réponses. Car il fallait oser entremêler toutes ces grammaires cinématographiques pour évoquer l’histoire de Manitas Del Monte, puissant et cruel chef d’un cartel mexicain de la drogue qui souhaite changer de sexe et disparaître de la circulation en abandonnant sa vie criminelle, sa famille et renaître sous les traits d’Emilia Perez (Karla Sofia Gascon), la femme qu’il a toujours voulu être. Tout comme il faut oser, en tant que spectateur, accepter ce postulat de départ. Et c’est sans doute la réussite de ce film qui suscite interrogations et débats bien après la sortie de la salle. Au final, est-on dans un film naïf et premier degré qui laisse entendre que c’est en devenant femme qu’on devient meilleur puisque le mâle est forcément mauvais ou est-on dans une forme de cynisme qui, sous couvert de bienveillance, conclut perfidement que quelles que soient nos transformations, nous resterons toujours les mêmes ? Et si le personnage de Manitas/Emilia est évidemment le centre de ce questionnement, les autres personnages sont aussi concernés. A commencer par Rita Moro Castro (interprétée par Zoë Saldana), l’avocate qui se morfond de défendre avec talent des crapules (autre postulat improbable) et qui accepte de travailler exclusivement pour Manitas del Monte pour l’aider à disparaître. Ce qui fait que pour Rita comme pour Emilia, il n’y a ni rédemption ni effacement des fautes du passé mais juste une grande difficulté à assumer ce que l’on est réellement mais sans oublier de se servir au passage. Alors, faut-il faire une parallèle entre le fond (la vie d’Emilia) et la forme (le film de Jacques Audiard) et conclure que l’image que l’on donne ne repose souvent que sur une construction alternative de la vérité et que tant que certaines choses sont tues, ça reste une vérité acceptable ? En revanche, au delà des questions qui restent en suspend, il y a des certitudes : le casting féminin est remarquable, certaines scènes sont d’une beauté sidérante, et l’adaptation de la chanson de Georges Brassens « Les Passantes », en espagnol, chantée lors de la procession finale par Adriana Paz et un chœur mexicain valent à eux seuls le détour.
Eat the night
Et si l’été 2024 apportait la preuve aux plus dubitatifs que nous avons la chance en France d’avoir un cinéma réellement remarquable… Vivant, divers, de plus en plus audacieux, avec un public curieux et des maisons de production qui osent encore proposer aussi bien de probables block-busters (Monte-Cristo, les 3 Mousquetaires,…) que des films beaucoup plus risqués car hybrides, inclassables et refusant de se ranger dans les sous-genres qui leur sont habituellement dévolus. Et dans cette catégorie, « Eat the Night » n’est pas le dernier. Dans la banlieue du Havre, Pablo (Théo Cholbi) et sa petite sœur Apolline (Lila Guéneau), adolescente un peu effacée, vivent un peu tristement dans le modeste pavillon de leurs parents, tristement car leurs parents justement, ne sont plus là. Si Pablo sort de la maison ce n’est que pour aller dans une vielle masure abandonnée au milieu des bois où il a installé son atelier de fabrication d’ecstasy qu’il livre ensuite à ses clients en moto dans tous les quartiers du Havre. Apo quant à elle sort très peu car son seul refuge, est le jeu Darknoon (un oxymore lourd de sens) dans lequel elle incarne une guerrière hyper sexualisée et invincible, surtout quand elle fait équipe avec son frère Théo qui l’a initiée à ce métaverse depuis sa tendre enfance. Apo, qui ne conçoit la vie que par la présence de son frère à ses côtés et par son immersion dans cet univers alternatif, est bouleversée quand un message s’affiche sur le serveur annonçant que Darknoon cessera de fonctionner à la fin du compte à rebours qui défile déjà en gros chiffres sur son écran. De plus, Pablo s’éloigne de plus en plus d’elle car il a rencontré Night (Erwan Kepoa Falé), un agent de sécurité avec lequel il a noué une liaison amoureuse fusionnelle et l’a entraîné dans son trafic d’ecstasy qui commence à éveiller les soupçons des caïds locaux qui bien évidemment n’acceptent pas les dealers free-lance sur leur territoire. « Eat the Night » évolue au carrefour de tous les genres… de la chronique sociale, au thriller, de la romance pure et dure (peut-être le plus surprenant) au film d’animation mi manga mi héroïc fantasy, ce long métrage réalisé en équipe par deux jeunes trentenaires (Caroline Poggi et Jonathan Vinel) est une vraie bonne surprise. C’est énergisant, parfois brouillon mais souvent très beau à contempler (dans la vraie vie ou dans le monde virtuel), déroutant de sincérité et de sensibilité et avec l’atout immense de compter trois acteurs principaux très doués qui viennent agrandir le vivier manifestement inépuisable des actrices et acteurs de grand talent de cette nouvelle génération.
The Bikeriders
Midwest, USA, années 60. Benny (Austin Butler), fils génétiquement créé de James Dean et de Brad Pitt promène sa dégaine de beau gosse un peu fat dans les bars de la ville où selon le club de motard auquel on appartient, il est vivement conseillé de ne pas afficher ses « couleurs ». Mais Benny est un rebelle et la violence ne lui est pas étrangère. Il préfère mourir plutôt que d’enlever son blouson quand on le lui ordonne. Première bagarre et présentation de Benny. Dans cet univers ultra codifié et pas si traité que cela au cinéma, « The Bikeriders » navigue entre plusieurs sous catégories… de motards bien sûr, du western, du passage à l’âge adulte, de chronique sociale sur les « red necks » de la terre du milieu, de naissance-évolution-apogée-chute d’une bande de gangsters. Benny donc, va rencontrer les deux personnes les plus importantes de sa jeune vie. Kathy (Jodie Comer), jeune femme qui tombe sous son charme de motard un peu voyou qu’il épousera mais qui ne cessera de vouloir l’éloigner de sa moto et de son gang. Et bien sûr, Johnny (Tom Hardy) le fondateur charismatique du gang des « Vandals » que Benny intègre et où il développe une relation fusionnelle avec son mentor, seule personne dont il accepte les ordres. Entre croissance exponentielle du gang, le développement des clubs affiliés appelés « chapitres », le basculement vers une criminalité de plus en plus lourde et l’arrivée des premiers démobilisés du Viet Nam qui apportent avec eux le désenchantement, les drogues dures et l’ultra violence, les « Vandals » et chacun de ses membres vont vivre des bouleversements profonds qui changeront à jamais leur monde.
Jeff Nichols n’a jamais caché son admiration voire son acculturation totale à l’œuvre de Martin Scorsese et dans ce « Bikeriders », il y a toute la trame, le style et le soin extrême apporté aux décors, à la lumière et à la musique que l’on a trouvés il y a trente-quatre ans déjà dans « Les Affranchis ». Et bien sûr, par l’introduction d’une narratrice qui, à travers son regard de femme, va reprendre le fil de l’histoire de ce club de motards plus que masculins, depuis sa création à son inévitable déclin en passant par son ascension. Comme Karen, l’épouse de Henry, l’apprenti gangster du film de Scorsese, ici, c’est Kathy qui relate à Danny Lyon (Mike Faist) – jeune documentariste qui a décidé de suivre un club de bikers du Midwest-, sa rencontre avec son futur époux Benny. Lequel, se débat comme il le peut entre son besoin viscéral de liberté motorisée et les rares êtres humains qui s’entichent de lui…
Il n’y a ici point de tromperie car dès le début, on sait que l’on assiste à un drame et que la nature même des personnages les conduira là où il était prévu qu’ils achèvent leur histoire. Et comme chez Scorsese, la seule inconnue est de savoir combien s’en sortiront et lesquels. Si les défauts de « Bikeriders » sont compensés par ses qualités, ils le doivent sans doute au regard très naturaliste de Jeff Nichols sur ces personnages. Le scénario étant tiré du livre du vrai Danny Lyon (dont les photos noir et blanc des vrais « Vandals » habillent le générique de fin), on reste en observateur sans réellement éprouver d’empathie alors que dans des classiques du genre (notamment les deux films de commande que Francis Ford Coppola tourna en 1983, « Rusty James » et « Outsiders »), tout repose sur l’identification du jeune héros à son mentor et l’empathie du spectateur envers l’un ou l’autre des protaginistes. Mais entre la beauté des images et de la reconstitution, la qualité de la bande originale (rock n’ roll, forcément…) et le jeu des acteurs, il serait dommage de bouder son plaisir. Et puis comme dans tout film de qualité, il y a le petit rôle qui vient mettre en lumière une nouvelle tête qui marque durablement les esprits. Hitchcock disait que si le méchant était réussi, le film le serait aussi. Dans « Bikeriders », le méchant est très jeune, très méchant et très réussi. Donc…
Border Line
Parler de certains films est presque criminel tant la révélation du moindre élément est une atteinte au plaisir du lecteur… qu’on prive ainsi de la joie intense de se faire mener par le bout du nez. Imaginerait-on aujourd’hui se lancer dans un pitch détaillé de «Usual Suspect » sans risquer de compromettre l’identité de Kayzer Söze ? Mais dans certains cas, ne pas parler du film est encore plus condamnable car certains longs métrages dans leur modestie ne bénéficient pas d’une grande couverture médiatique même si avec « Border Line », les critiques ont été élogieuses. Mais c’est un « petit » film espagnol réalisé par deux vénézuéliens, Juan Sebastian Vasquez et Alejandro Rojas qui ne restera dans les salles que le temps d’un succès d’estime surtout en période de vacances scolaires où les films familiaux auront la priorité. Mais pour ceux qui trouveront encore une salle où il est projeté ou dès sa première diffusion sur les chaînes spécialisées, « Border Line » leur apportera ce petit frisson voluptueux, non seulement parce qu’ils auront conscience d’avoir vu un film paranoïaque délicieusement angoissant mais aussi parce qu’ils auront la certitude d’avoir vu du cinéma, du vrai, avec une réalisation et une interprétation de haut vol. Et avec une qualité supplémentaire : de l’intelligence !
Elena (Bruna Cusi) vit en couple à Barcelone avec Diego (Alberto Ammann). Elle est danseuse moderne, lui est est urbaniste et le grand projet de leur vie est d’aller s’installer à Miami. Leur dossier a été accepté par les autorités, tous les questionnaires ont été remplis et tous les documents officiels transmis. Si Elena, espagnole de naissance est relativement sereine, Diego lui est plus fébrile. De nationalité vénézuélienne, il sait que son cas sera sans doute scruté de plus près une fois sur le territoire américain. Après une dizaine de minutes de film, Elena et Diego atterrissent donc à New York et doivent prendre une correspondance pour Miami. Mais bien sûr, les agents de la police aux frontières leur demandent de les suivre au sous-sol pour des vérifications complémentaires.
Et c’est là que l’exercice devient difficile car en divulguer plus serait inélégant.
Toutefois, la réputation mondiale des agents de la police des frontières américaine laisse deviner que Diego et Elena vont passer un moment qu’on va pudiquement qualifier de désagréable. « Border Line » a une durée d’une heure et dix-sept minutes, l’autre de ses atouts. A une époque où les réalisateurs semblent tiraillés entre l’envie de condenser leur scénario dans un long métrage mais avec peut-être le regret de ne pas avoir pu en tirer une série, les films courts et percutants deviennent rares. Ici, 77 minutes suffisent amplement car au-delà, le spectateur risque l’apoplexie et il faudrait distribuer des bouteilles d’oxygène. La construction machiavélique du scénario ne laisse aucun repos au spectateur et si chaque micro rebondissement amène plus de questions que de réponses, ils sont si resserrés qu’on a guère de temps à consacrer à la réflexion. Les agents Barrett et Vasquez (Ben Temple et Laura Gomez) mènent la danse avec une fausse bonhomie effrayante et si on mesure très vite que lorsqu’on est en situation de demandeur, on est prêt à accepter beaucoup trop de compromis, on ne mesure pas que finalement, on ne sait pas grand chose de ce qui nous entoure. Qui est mon conjoint ? Qui sont ces agents intrusifs ? Qui suis-je moi même ? Car l’intelligence des deux réalisateurs réside dans leur faculté à apporter plusieurs niveaux de lecture et de réflexion. S’ils s’étaient cantonnés à une dénonciation de la politique migratoire américaine, « Border Line » n’aurait été qu’un petit pamphlet bien fait mais déjà vu, alors qu’en introduisant toute une série de doutes sur chacun des personnages, ils offrent un très grand petit film dont on se souviendra longtemps.
Challengers
Attention, escroquerie… Mais par n’importe quel genre d’escroquerie. De celle qui vous laisse pantois et tout rouge de la honte d’avoir aimé se faire escroquer. « Challengers », le dernier et très attendu film de Luca Guadagnino sort finalement en salles. Un trio amoureux, même dans le monde du tennis, ce n’est plus un classique, c’est un lieu commun. Et pourtant…
Tashi Duncan est une joueuse de tennis au potentiel évident. Issue d’un milieu modeste et d’une ambition sans limite, elle sait ce que c’est de se battre pour réussir et sait déjà avec finesse qu’une carrière de joueuse pro se construit sur et hors des courts. Elle intègre alors l’université de Stanford où elle perdra un peu de temps avant de passer professionnelle mais où elle enrichira son carnet d’adresses et construira sa légende de femme forte et indépendante. Lors d’une soirée, elle y rencontre deux joueurs de son âge, Art Donaldson et Patrick Zweig. Les deux garçons, le blond et le brun, se connaissent depuis l’âge de 12 ans et leur amitié est indestructible. Ils ont grandi ensemble tout au long de leur parcours en « sports études » et ont intégré Stanford où ils sont devenus de redoutables joueurs de double. Issus de milieux aisés, ils n’ont pas la même approche de la vie que Tashi mais en tombent amoureux aussitôt. Une compétition s’engage alors pour la séduire. Si Patrick gagne cette première manche, le destin va briser les rêves de gloire de Tashi et c’est avec Art, qu’elle construira une famille et un avenir par procuration en transformant l’indolent Art en champion de premier plan. Mais le temps passe et Art s’use et se perd un peu. Il ne gagne plus. Pour qu’il engrange de la confiance avant l’U.S Open qu’il n’a jamais remporté, Tashi l’inscrit dans un tournoi Challenger (2ème division) en espérant que des victoires faciles le requinqueront. Mais dans ce tournoi près de New York, il y a également un certain Patrick Zweig. Et c’est là que va se jouer la troisième manche…
Si cette présentation est chronologiquement linéaire, le film lui ne l’est pas. Avec un montage volontairement calqué sur les échanges sur le court et jouant avec les flash backs contenant eux même des flash backs, la vie de Tashi, Patrick et Art défile sur l’écran au rythme effréné d’un match de tennis enfiévré. La musique des ex Nine Inch Nails envoûtante, le travail sur la lumière du chef opérateur, le talent inouï des acteurs, tout est ensorcelant. Avoir choisi Zendaya, star confirmée du cinéma hollywoodien, c’était déjà s’assurer qu’il n’y aurait pas de difficulté pour le public à l’imaginer dans un rôle de femme forte qui ne se laisse dominer par rien ni personne. Et avoir choisi Mike Faist (Art) et Josh O’Connor (Patrick), relève du génie prémonitoire car il fallait imaginer au vu de leur jeune carrière qu’ils seraient capables d’être aussi fins dans leur jeu. Ni Tashi, ni Patrick ni Art ne sont des bourreaux ou de victimes. Ils sont les deux à la fois au gré des aléas du déroulement de leur destin commun et c’est ce qui les rend magnétiques. D’ailleurs, que Zendaya, en vraie femme de tête, soit coproductrice de « Challengers » dit tout de la richesse du rôle qui lui revient. Enfin, là où l’escroquerie est délicieuse, est que ce film a été vendu depuis plus d’un an avec des bandes annonces ad hoc, comme un trio amoureux sulfureux avec sa promesse d’un érotisme assumé et d’une moralité chamboulée. Luca Guadagnino, grand maître des passions amoureuses a toujours su jouer avec la censure pour que ses films, à la sensualité évidente, obtiennent malgré tout le label « tous publics » aux USA. Et il récidive. Ici, pas une seule scène de sexe, juste quelques moments où on se chauffe un peu. Et pourtant, le film est électrisant. Peut-être parce qu’il capte tout ce qu’il y a de beau chez n’importe quelle jeune femme ou n’importe quel jeune homme, tous pleins d’espoirs, d’ambition et d’énergie. Des amitiés les plus fortes et des amours les plus passionnées découlent les douleurs les plus cruelles quand elles se finissent. Alors, ne reste qu’une seule question: Est-ce que l’amour et l’amitié peuvent réellement mourir ?
Ce qui est bien avec les coproductions internationales, c’est que c’est un peu comme la boîte de chocolats de Forest Gump, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Dans les années 70, c’était devenu une spécialité pour réunir sur un même projet la brochette de stars la plus fournie de l’année. Les résultats au box office étaient souvent bons et les critiques faisaient la moue avant de réviser leur jugement quarante ans plus tard. En ce vingt-et-unième siècle déjà bien entamé, ce type de projet n’a plus rien de surprenant et permet même de financer et de faire vivre des films étonnants qui sans ce genre d’attelage, n’auraient jamais pu voir le jour.
Ainsi, la France, l’Allemagne, la Suisse et le Japon se sont associés pour soutenir « Sidonie au Japon », réalisé par Élise Girard et coécrit avec Maud Armeline et Sophie Fillières. Sidonie, c’est le prénom d’une écrivaine qui a connu un immense succès avec son premier roman il y a très longtemps. Et comme les dieux aiment punir ceux à qui ils ont beaucoup donné, ils ont aussitôt rappelé à eux Antoine, l’homme qu’elle aimait follement et qu’elle venait d’épouser. De ce succès mondial et de cette disparition sont nées une douce et longue dépression et un blocage intégral devant la page blanche. Sidonie n’a donc écrit qu’un seul livre et vit plus ou moins recluse dans le souvenir d’Antoine et le décalage de plus en plus grand avec le monde qui l’entoure. Quelques décennies plus tard, pourtant, un éditeur japonais réédite son roman et l’invite à cette occasion. Contre toute attente, malgré une légère inaptitude à vivre en dehors de son appartement et ses doutes sur la pertinence de ce voyage, Sidonie accepte et se rend au Japon. Bien sûr, elle y est confrontée au choc des cultures, accentuant encore un peu plus ses difficultés à communiquer avec d’autres êtres humains, surtout quand tout au quotidien est désarmant. Mais son éditeur, Kenzo Mizoguchi, est à ses côtés à chaque minute et il va autant aider Sidonie à s’ouvrir à nouveau à la vie qu’il va bénéficier à son tour de l’influence de l’écrivaine pour finir par fendre légèrement l’armure. Et comme le Japon est une terre où les esprits des morts aiment communiquer avec les vivants, le fantôme d’Antoine apparaît soudainement et vient bousculer encore un peu plus l’aventure japonaise de Sidonie
Et cette aventure en est vraiment une, autant pour les protagonistes que pour le spectateur tant le film est un objet filmique non identifié. Comédie douce amère où les rires sont pourtant francs mais de qualité, où les fantômes pourraient être effrayants mais sont tout simplement touchants et où des personnages bien avancés dans leur vie découvrent un peu surpris qu’ils peuvent encore aimer et être aimés. Isabelle Huppert, Tsuyoshi Ihara et August Diehl sont remarquables de finesse et de drôlerie tout comme les seconds rôles japonais qui placent leurs notes délicates de distance et d’humour exactement là où il le faut pour que l’harmonie soit parfaite. Et enfin, il faut retenir la caméra bienveillante de la réalisatrice qui, au delà du tact de l’ensemble du film, innove avec audace et élégance dans la traditionnelle scène d’amour où la nudité n’est pas occultée en raison de l’âge des acteurs mais sublimée et rendue naturelle et émouvante. Est-ce cela qu’on appelle un moment de grâce ?
Sidonie au Japon
Blue Giant
Première découverte, le succès du manga éponyme dans un vingt-et-unième siècle décidément plein de surprises. Que la jeunesse japonaise se passionne pour les aventures musicales de trois jeunes copains, fous de jazz et gravissant un à un les échelons de la réussite et de la reconnaissance dans ce milieu très sélectif est déjà une curiosité, vue de France. Mais le Japon est et a toujours été un pays cultivant sa différence notamment pour ce qui est de la conservation du patrimoine musical américain et Tokyo, est encore aujourd’hui considérée comme l’une des capitales mondiales du jazz avec des spécialistes reconnus et adulés, non seulement des exégètes mais également d’un public plus large. Ainsi quand le Studio NUT fut chargé d’adapter en anime le manga à succès, outre le choix du réalisateur, Tashikawa Yuzuru, la priorité fut de choisir trois pointures du jazz local pour jouer les partitions des morceaux entendus dans le long métrage. La pianiste Hiromi Uehara compose la musique et joue les parties piano et s’adjoint les services de Tomoaki Baba au saxo et de Shun Ishiwaka à la batterie. Et pour coller au mieux à cette histoire d’apprentissage et de progression constante vers l’excellence, les trois musiciens ont appris ensemble à « dé-jouer » pour retrouver leurs maladresses de jeunesse. Il ne s’agit donc pas là, d’un essai approximatif sur une musique réservée à quelques happy few… Ça respire la passion, l’amour de la musique, le dépassement de soi et la camaraderie. Ces mangas originels s’inscrivent dans ces catégories développées pour un lectorat ciblé par tranches d’âge et mettant souvent en valeur l’amitié, la volonté de réussir et le dépassement de soi. Plus légers dans les Shonen pour les 8/18 ans et parfois plus sombres dans les Seinen destinés aux plus de 20 ans avec une sous-catégorie, les Nekketsu mettant l’accent sur la volonté inébranlable de surmonter tous les obstacles pour parvenir au but que l’on s’est fixé. Une sorte de classement plus affûté entre la bibliothèque rose et la bibliothèque verte de notre enfance.
Daï, un jeune garçon de 18 ans est en terminale dans sa petite ville de Sendaï. Il vit avec sa mère, sa petite sœur et s’est pris de passion pour le saxophone sans avoir jamais pris de cours. Alors avec la fougue qui est la sienne, il joue tous les jours le long du canal proche de sa maison, été comme hiver, transpirant sous le soleil comme grelottant sous la neige. Mais il comprend bien vite que s’il veut devenir « le meilleur sax du monde », c’est à Tokyo qu’il faut aller. Alors il part, et va s’installer plus ou moins de force chez Shunji, son ami d’enfance qui y vit déjà depuis qu’il est entré à l’université. Shunji, ne joue d’aucun instrument mais il est en admiration devant le talent de son ami. Ce dernier fait alors la connaissance d’un vrai musicien, le jeune Yukinori, fils de bonne famille ayant appris le piano depuis le berceau et peut-être un peu enfermé dans son talent réel mais sans cette étincelle de passion qui transcende tout. Yukinori va très vite reconnaître le talent brut de Daï et ils vont commencer à jouer ensemble, presque aussitôt rejoints par Shunji, qui décide de se mettre avec fougue à la batterie pour accompagner ses deux amis, autant pour la musique que par amitié. La suite, sans surprise, dans cette fable au nuancier de bleus magnifiques, sera jalonnée d’échecs, de progrès puis bien sûr de réussite avec pour but ultime pour ces très jeunes gens, jouer au « So Blue », LE club des puristes du jazz de Tokyo. Le plus surprenant dans cette histoire finalement classique de « coming on age », c’est la fraîcheur, la sincérité des personnages et l’absolue pureté de leurs sentiments… et l’amour pour le jazz. Si le choix de l’usage d’un procédé de motion picture en 3D calqué sur les vrais musiciens ne donne pas le résultat escompté lors des scènes de concert, c’est vraiment dans l’animation classique et ses ambiances nocturnes bleutées somptueuses que toute la poésie et la magie de ce groupe de trois amis mélomanes éclate à l’écran aussi fort que les notes de musique de la bande originale.
De tous temps, il y a toujours eu des parents soucieux de propulser leurs enfants vers les sommets de la réussite scolaire en usant des modestes moyens mis à leur disposition. Et parmi eux, celui des options linguistiques était probablement le meilleur. Choisir pour leurs descendants et contre leur gré, de faire allemand LV1 et de cocher l’option latin dès la 4ème, c’était l’assurance de les voir inscrits dans les classes regroupant les meilleurs élèves… en espérant secrètement que leur progéniture bénéficierait d’un effet d’entraînement vers le haut car trop conscients de leurs aptitudes réelles. A cela, on peut ajouter, hier comme aujourd’hui, des professeurs pas forcément en phase avec le défi à relever face à une communauté d’élèves aux motivations… disons incertaines et à l’enseignement d’une langue morte qui s’adapte mal à un public pour lequel le « par cœur » et la rigueur des déclinaisons sont des notions abstraites. Quant à celles et ceux qui ont survécu à ces choix imposés par des parents inconscients de leur cruauté, une pensée émue à l’idée qu’aujourd’hui encore, ils puissent frissonner de terreur en entendant les noms de Gaffiot ou de Bescherelle !
Angers, 2023. Delphine est une jeune et jolie professeure de latin qui a renoncé à enseigner sa matière à des élèves qui, en échange de très bonnes notes sont sages comme des images et lui permettent de se consacrer à autre chose… La catastrophe se présente quand le Ministère de l’Éducation Nationale décide de sélectionner la classe de Delphine (qui a donc les meilleurs notes du pays) pour représenter la France au concours international de latinistes qui se tiendra à Naples. La proviseure, ravie de promouvoir son lycée (et de sauver les quelques heures de latin qu’elle réussit à maintenir chaque année) pousse donc Delphine et ses élèves de toute son énergie pour ce qui va devenir un voyage d’apprentissage pour un peu tout le monde. Car pour compléter cet attelage hétéroclite, le groupe sera accompagné par Rodolphe, le neveu de la proviseure, latiniste passionné et auteur d’une thèse de 800 pages sur une nouvelle méthode révolutionnaire pour enseigner cette langue « vivante », il y tient.
Bis Repetita...
Avec « Bis Repetita », réalisé par Emilie Noblet et coécrit avec Clémence Dargent, c’est un road movie auquel on assiste… qui a l’excellente idée de sortir les élèves de leur classe pour les plonger en terre inconnue, autant par l’exotisme de la ville de Naples que par le milieu élitiste dans lequel ils se retrouvent coincés contre leur gré et où ils devront faire preuve de beaucoup d’adaptabilité pour survivre. Bien évidemment, derrière la comédie franchement réjouissante et délicieusement amorale, il y a quelques touches de gravité qui viennent interroger sur tous les sujets qui préoccupent aussi bien les adolescents que les adultes, avec le sentiment amoureux en première ligne mais aussi l’honnêteté, la vérité, le mensonge, la transmission du savoir… Ce qui donne la possibilité à Louise Bourgoin et Xavier Lacaille (le génial Samy de la série « Parlement ») de montrer toute l’étendue de leur talent et aux jeunes acteurs interprétant ce groupe de très mauvais élèves de crever l’écran avec une mention spéciale pour Elias Donada dont le Alban amoureux maladroit de sa prof reste longtemps en mémoire. Et ne pas bouder son plaisir devant la prestation de Noémie Lvovsky en proviseure un peu dépassée ou Francesco Montanari en un Vittorio vénéneux, organisateur star des ces olympiades du savoir antique, qu’il aimerait voir réservées à l’élite. Et finalement de penser que lorsqu’on voit les traces bénéfiques laissées par l’enseignement du latin – même subi à contre cœur – des décennies plus tôt, ce film donnerait presque envie d’en reprendre l’étude et de ne plus avoir peur de Gaffiot et Bescherelle.