« COMME DES PAPILLONS »
de Philippe Charlot, Philippe Pelaez (scénario) et Miras (dessins) chez Grand Angle
La bande dessinée ne fait pas exception pour raconter certaines épopées. J’ai le souvenir récemment d’avoir écrit des articles sur celle d’Apollo 11 ou bien sur la famille Johnson en 1754 en Nouvelle-Angleterre. La définition de l’épopée « un long récit poétique d’aventures héroïques où intervient le merveilleux » pourrait paraître excessif pour qualifier le récit des événements qui ont mené le Racing club de France sur le toit du monde en remportant le bouclier de Brennus en 1990. Toutefois, l’amitié, l’audace, le travail, l’insouciance, dont fait état l’ensemble des joueurs de cette équipe durant la fin des années 1980, ne laissent personne indifférent tant cette réussite était intimement liée à un esprit, à une époque, à un grain de folie, qu’ils définiront eux-même comme une « parenthèse enchantée ».
Ne pouvant en faire un film, Franck Mesnel, ancien joueur du XV de France et cofondateur d’Eden Park, soucieux de raconter cette incroyable et passionnante histoire, eut l’idée de cette BD. Bien lui en a pris ! Une nouvelle fois la réussite est au rendez-vous. Les auteurs ont su, avec merveille mettre en lumière ce long récit. Celui-ci est parfois poétique dans la folie audacieuse, mais également parfois héroïques lors des combats sur le terrain. Merveilleux, poétique, héroïque, tous les attributs de l’épopée !
Le dessin est surprenant, par sa nature très photoréaliste, rendant l’ouvrage extrêmement visuel et le scénario est bien mené, exploitant les anecdotes de Franck Mesnel dès son plus jeune âge jusqu’aux coupes du monde en passant par le parcours du Racing club de France, amenant ce grain de folie dans l’univers stéréotypé du rugby.
Dans un monde actuel où la créativité est freinée par les clichés, les apparences, la banalité et le manque d’originalité ; où la réussite est attaquée par les préjugés et les jalousies, cette bande dessinée montre aux jeunes générations que tout devient possible, il suffit de croire en ses rêves.
Gabriel Pianeti


« LE DERNIER QUAI » aux Editions Grand Angle
Chaque matin, Emile suit le même rituel. Après un réveil à cinq heures, une rapide toilette, il revêt son costume impeccable agrémenté d’un nœud papillon et de gants blancs, ce qui lui donne une allure de majordome. Après avoir préparé les buffets, il est près à accueillir dans son hôtel ses clients récupérés à la gare. Ceux-ci ont tous un point commun : ils préparent leur ultime voyage. Durant leur séjour, le majordome les aidera à reconstituer leurs souvenirs et surtout à affronter leurs regrets. Ils pourront ainsi partir en Paix, plutôt que d’aller hanter pour l’éternité les ombres sombres qui entourent l’établissement à l’orée d’une forêt tout sauf accueillante. Chaque jour, pour Emile, c’est donc le même rituel, sauf ce matin-là, car les nouveaux arrivants n’ont absolument aucun souvenir de leur ancienne vie.
Après « la maison aux souvenirs », Nicolas Delestret reste, avec « le dernier quai » aux éditions Grand Angle, dans les thèmes qui lui sont chers. Ici la maison familiale isolée et chargée d’histoires, devient l’hôtel au bout du dernier quai. Le souvenir est de nouveau omniprésent. Le scénario est bien ficelé, même s’il coupe le récit en deux parties visuellement différentes, passant du romantique au fantastique. Le tout forme un conte séduisant dont la lecture est agréable et fluide. Nicolas Delestret réussi son pari et son univers de souvenirs est une fois de plus très bien retranscrit à travers cette nouvelle œuvre dont certains visuels ne sont pas sans rappeler ceux de certains Disney célèbres, pour le plus grand plaisir des yeux.
Gabriel Pianeti
« FURIOSO, l’outre-monde » chez Drakoo Editions
Le binôme Pelaez – Laval Ng reprend du service après la sortie de « Parallèle » en 2016, voici leur nouvelle série « Furioso » dont le tome deux « l’outre-monde » vient de paraître aux éditions Drakoo avec Tanja Wenisch aux couleurs.
Inspiré du poème épique italien de Ludovica Arisoto (dit l’Arioste) composé au début du 15ème siècle, prenant comme trame de fond la guerre entre Charlemagne et les Sarasins et dont parmi les héros figure le personnage de Roland dont la fureur est causée par la fuite d’une princesse païenne qu’il aime et cherche à délivrer. Roland est un personnage historique important – neveu et un des douze preux de Charlemagne – qui a donné son nom à la brèche de Roland et à la chanson éponyme.
La bande dessinée conte l’histoire de Garalt, ancien meilleur chevalier du monde tué par Roland, qui revient d’entre les morts et qui cherche à revoir Bradamante et qui trouvera sur sa route son ancien ennemi. La transposition de l’univers de Charlemagne dans le monde de la fantasay rend le récit complexe mais attrayant pour celui qui persiste et qui, par extension, se documente sur le personnage historique de Roland.
Du côté du dessin, les yeux ont parfois du mal à en suivre la richesse et l’enchainement rapide des scènes, mais l’aspect général est particulièrement graphique et donne un visuel qui colle parfaitement avec la fantasy. Pour les amoureux du genre.
Ce dernier volume est le bienvenu tant il apparaît nécessaire à la compréhension de l’ensemble de l’œuvre, où la place des personnages dans l’intrigue est prépondérante. Le duo Pelaez – Laval Ng fonctionne, vivement leur prochaine collaboration.
Gabriel Pianeti


« CARMA DE PORTEPOISSE » chez Drakoo Editions
Être superstitieux, ça porte malheur, surtout quand on est Portepoisse ! Carma de Portepoisse est une mercenaire qui ne doit avoir ni trop de chance, ni trop de malchance, sous peine de subir les conséquences d’une malédiction familiale. Hélas son destin se retrouve lié à Loméllie, princesse dont la malchance légendaire a causé la chute d’un empire. Et pour ne rien arranger, un paladin béni des dieux veut les capturer pour les amener à la justice : Carma pourra-t-elle échapper à l’homme le plus chanceux du monde tout en se traînant la fille la plus maudite qui soit ?
Carma de Portepoisse est une aventure d’heroic-fantasy semi-humoristique dans un univers oriental qui fait penser à celui de « Prince of Persia ». Les dessins et les couleurs sont un véritable atout et viennent illustrer un scenario et des dialogues très actuels, créant ainsi un certain décalage de temporalité qui rend l’ensemble assez original. Des personnages secondaires font leur apparition de manière impromptue et permettent aux auteurs de changer de cap de manière radicale sans en apporter d’explication. La BD se veut donc atypique tant par l’histoire, plutôt dense, que par la narration, très moderne, visant ainsi un public jeune.
Gabriel Pianeti
« INSPECTEUR BALTO » aux Editions Grand Angle
On n’arrête jamais d’être flic, et ce n’est pas lui, l’inspecteur Balto, qui va contester l’adage. Il vient de prendre sa retraite, mais continue encore un peu, s’occupant de ce qui n’est pas important pour la police. On le dit intransigeant, vieux jeu, anti-technologie. Alors quand les deux gamines sont venues pour qu’il les aide à retrouver leur amie « camgirl », il s’est retrouvé dans un autre monde. « Camgirl », pour lui c’est du chinois, lui qui n’a même pas internet. Il pourrait faire comme Columbo et demander à sa femme, mais elle est plus là. Car il l’a fait coffrer.
Ce flic tout juste à la retraire, un peu arriéré et prisonnier d’un passé sombre qui l’a contraint à enquêter sur sa propre femme, permet aux auteurs Aurélien Ducoudray et Anthony Geoffroy de plonger le lecteur dans une époque durant laquelle la part belle était faite aux indics plutôt qu’à l’utilisation d’un ordinateur. Le récit pointe du doigt un fait de société dans la police, à savoir que les vieux enquêteurs sont en parfait décalage avec les méthodes modernes 3.0. Il en ressort une certaine morosité dans les rangs des policiers, ce que semblent avoir voulu souligner les auteurs à travers ce personnage de l’inspecteur Balto. Le titre annonce lui-même la couleur puisque l’appellation « inspecteur » a disparu depuis une réforme de la police nationale du milieu des années 1990. La BD parlera ainsi aux enquêteurs de cette époque et informera le public d’aujourd’hui sur les méthodes employées dans les années 80 pour résoudre une affaire.
Gabriel Pianeti


« DU BOUT DES DOIGTS » de Cyril Bonin chez Grand Angle
Milieu des années 60. Paul aime se confronter à la toile, à la matière mais n’arrive pas à être heureux. Lui qui voit toujours le mauvais côté des choses se retrouve bloqué dans sa création, alors qu’il a accepté un contrat avec une galerie pour la livraison de plusieurs toiles. La rencontre avec une jeune coiffeuse, belle comme une actrice, va lui ouvrir de nouvelles perspectives et lui faire toucher une nouvelle existence… du bout des doigts.
Paul est présenté avec force dans la bande dessinée comme un barbouilleur, enfermé dans une vision passéiste de l’art. Il apparaît en contradiction avec ses copains, tous anciens élèves des beaux-arts pour lesquels le mouvement de l’art contemporain ne doit plus être défini par les propriétés esthétiques d’un objet mais uniquement par l’idée qui a amené sa création. L’œuvre passe au second plan, seule l’intention compte.
Les beaux-arts, c’est justement la formation que Cyril Bonin suit au début de ses études. Il y a sans nul doute gardé quelques anecdotes croustillantes qui font le bonheur du lecteur. On sent, à travers cette histoire, une franche part de réalisme, mais le concept de l’art, si obscur ou inatteignable soit-il, l’est toutefois moins que celui du bonheur. Ce bonheur, le véritable thème de cette aventure à la fois légère et profonde. Le bonheur est-il d’ailleurs compatible avec l’amour ? La rencontre de Paul avec sa coiffeuse va changer sa perception du monde et donc de son art. Lui qui était toujours tourmenté, toujours pessimiste, va se retrouver dans un engrenage de positivisme. Sera-t-il y succomber ou bien devra-t-il s’en écarter pour rester en harmonie avec ses créations ?
Une bande dessinée originale, pleine de vie, de bonnes intentions qui diffusent une vision positive de la vie. On en redemande. Une vraie découverte.
Gabriel Pianeti