Tous nos coups de coeur
par Gabriel Pianeti
« Rue de la Grande Truanderie »

De Jean-David Morvan, Romain Rousseaux Perin et Hiroyuki Ooshima aux éditions Grand Angle
Paris, 1964. Glannes se fait prendre la main dans le sac alors qu’elle tente de soulager Jean-Baptiste Godin de sa montre à gousset. Plutôt que de la punir ou de la livrer à la maréchaussée, l’industriel propose à la jeune fille de l’accompagner à Guise, dans l’Aisne, où il possède une importante usine de poêle à charbon. Il y a fait construire un familistère, où les ouvriers et leurs familles vivent en communauté, dans un confort qui leur était alors inaccessible. Durant des années, Glannes vit auprès de Marie, qui devient sa mère d’adoption. En grandissant elle prend conscience de l’importance de ce monde idéal, mais comprend que celui-ci n’existe que par la bonne volonté de Godin grâce aux résultats de l’entreprise. Si l’un ou l’autre venait à manquer, les jours de ce formidable modèle de société seraient comptés. Pourtant Glannes en est persuadée : une utopie vraiment durable est possible. Elle devra reposer sur ses anciens compagnons d’infortune : les mendiants, chapardeurs, prostituées, journaliers et autres crève-la-faim avec lesquels elle a autrefois grandi. Des rebuts de la société, dont les activités sont éternelles. « Or ce point de vue déplaît fortement au familistère de Guise, dont la démarche se veut à la fois morale et éthique » explique Jean-David Morvan. C’est là qu’entre en scène Emile Godin, le fils de Jean-Baptiste Godin, personnage partagé entre l’amour qu’il éprouve à son père et les difficultés qu’il a à trouver une place auprès de celui-ci, se sentant rejeté et effacé. Il s’engage alors à redorer son blason…
Les dessins de Romain Rousseaux Perin, dont c’est la première bande dessinée, sont incroyables de réalisme, tant sur le visuel architectural – le dessinateur est architecte de profession – que sur l’ambiance de l’époque. Les toits de Paris, croqués depuis des vues plongeantes ou reproduits façon cinéma en mode travelling, apparaissent et disparaissent au détour d’une page, pour le plus grand plaisir du lecteur. Les couleurs d’Hiroyuki Ooshima apportent également une touche authentique ajoutant de la plausibilité historique à l’œuvre.
Le scénario de Jean-David Morvan, primé pour le superbe « Madeleine, résistante » en 2022 immerge le lecteur dans les confins du 19ème siècle sans que celui-ci ne décroche une seule seconde de sa lecture. L’histoire dans l’histoire fonctionne à merveille et les personnages s’y mêlent de façon naturelle. On est presque déçu de voir la dernière page se profiler à l’horizon et impatient de dévorer le deuxième tome. Bravo à ce nouveau trinôme Morvan – Rouseaux Perrin – Hiroyuki Ooshima, c’est une réussite totale.
Frankenstein

De Sergio A. Sierra et Meritxell Ribas Puigmal d’après l’œuvre de Mary Shelley aux éditions « Aventuriers d’Ailleurs »
Tout le monde connaît le nom de Frankenstein. Mais connaissez-vous vraiment son histoire ? Suite à la mort de sa mère, Victor Frankenstein se plonge corps et âme dans les sciences naturelles et la chimie. Il nourrit une ambition secrète : redonner vie à un corps inerte. Il y parvient après avoir profané tombes et cimetières, mais la créature qui naît de ses mains est repoussante, informe et répugnante. Alors Victor Frankenstein l’abandonne à son destin. Douée d’une intelligence, elle se venge par la suite d’avoir été rejetée par son créateur et persécutée par la société.
A sa parution en 1818, rien ne prédestinait le roman intitulé « Frankenstein ou le Prométhée moderne » au succès qu’il a finalement rencontré. Il est qualifié rapidement de gothique, un genre littéraire alliant aventures, romantisme et horreur ; un style qui a connu son apogée au début du 19ème siècle. Le roman est tiré à seulement 500 exemplaires, mais il est rapidement classé comme étant un chef-d’œuvre du genre. Le succès tant critique que public est au rendez-vous à tel point que l’œuvre en devient un des textes précurseurs de la science-fiction. Depuis sa publication il suscite de nombreuses adaptations, au théâtre, au music-hall, au cinéma, à la télévision, ou encore en bande dessinée ; les jeux vidéos s’emparent même du sujet. Après avoir été un mythe littéraire, Frankenstein devient un mythe cinématographique, puis un récit légendaire de la culture populaire.
Pour mettre en image sa version de Frankenstein, Meritxell Ribas Puigmal a utilisé un procédé aussi ancien que particulier : la carte à gratter. Connue depuis l’antiquité, elle est visuellement proche de la gravure et le principe consiste à égratigner une surface d’encre noire ou de couleur, laissant ainsi apparaître le blanc de la sous-couche. L’artiste dessine ainsi blanc sur noir en enlevant de la matière. Cette technique se pratique également dans la peinture, tel l’artiste Kwak Soo Young qui lacère ses toiles pour obtenir un rendu spirituel et lumineux. Cette technique permet de renforcer l’aspect sombre de l’œuvre tout en mettant véritablement en lumière les parties grattées. Que se soit sur les toiles de Kwak Soo Young ou bien sur les planches de Meritxell Ribas Puigmal, le résultat est bluffant et est parfaitement approprié à l’ambiance gothique souhaitée qui est magistralement reproduite. La puissance et l’intensité du noir et blanc colle magnifiquement aux atmosphères recherchées. L’aspect final s’approche d’une adaptation très fidèle au roman de Mary Shelley, d’un point de vue autant visuel que narratif. « Le passé des personnages et leurs relations m’ont semblé bien plus intéressants sur le plan moral et psychologique que sur le côté horrifique et gore auxquels le cinéma nous a habitués » souligne Sergio A. Sierra. On perçoit subtilement, pages après pages, le cercle vicieux de la peur de la solitude et de l’abandon. Jouer à Dieu comporte des conséquences et des responsabilités. Victor Frankenstein, au lieu d’assumer, s’enfuit et laisse sa créature orpheline.
« Dans la vie, on a toujours le choix : aimer ou détester, assumer ou s’enfuir, avouer ou mentir, être soi-même ou faire semblant » Nelson Mandela.
A la poursuite de Jack Gilet

De David Ratte – aux éditions Grand Angle
Jack Gilet a un drôle de métier, il est chargé d’exécuter les pauvres bêtes jugées en procès. « C’est l’histoire d’un type qui fait un sale boulot mais qui pour autant n’est pas un sale type » résume David Ratte, l’auteur de cette bande dessinée sortie début janvier aux éditions Grand Angle. Aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays dont la France ou la Suisse, au début du 20ème siècle, des animaux peuvent être jugés pour des crimes qu’ils ont commis. Les tribunaux condamnent à la peine capitale des chevaux, des mulets, des taureaux, des ours et autres cochons accusés d’avoir causé des nuisances, gâché des récoltes ou même provoqué des accidents mortels. Dans l’univers de David Ratte, c’est à ce moment-là qu’entre en scène Jack Gilet. C’est lui qui est chargé de faire appliquer la sentence suprême selon des procédures très sérieuses prévues par les lois fédérales. L’œuvre est une réussite tant visuelle que scénaristique. Bien que la BD fasse 128 pages, on en redemande ! Les images ont un indéniable côté western qui rajoute une part de rêve non négligeable. On est immédiatement plongé dans l’époque dès la première planche, rappelant les années de la conquête de l’Ouest, alors que l’histoire se positionne bien après cette période. La lecture, est fluide, intéressante, dynamique, touchante. Le personnage de Jack Gilet apparaît en toile de fond – vert – roulant en Ford modèle N de 1906, laissant dans son sillage les vrais personnages principaux de l’intrigue, les animaux : de la chèvre à l’éléphant. Tout au long de son voyage il passe dans différents États américains et slalome entre des condamnations animales et des rencontres à dimension humaine, dont celles avec un futur psychopathe et une jeune femme qui va le hanter. L’ambiance de cette bande dessinée est très actuelle et laisse transparaître l’engagement de plus en plus présent pour la défense et la protection du monde animal. « L’homme a transformé la Terre en un enfer pour les animaux » disait Arthur Schopenhauer. Il est temps de leur rendre ce qui leur appartient, outre la liberté, le respect et la bienveillance à leur égard.
Les salamandres

De Julien Frey et Adrian Huelva – chez Drakoo éditions
La société protège de tout. Même de vous.
Les habitants du secteur 14 le savent. Ils n’ont pas le droit de manifester. Mais un virus a transformé certains en Salamandres et la révolte gronde. Graham voulait juste qu’on le laisse tranquille, mais il a oublié que l’on ne s’oppose pas à la société. Voilà le pitch de cette bande dessinée, humoristique ou avant-gardiste, du futur ou du présent, selon l’angle d’observation dans lequel vous vous positionnez ou selon votre capacité à prendre du recul et à analyser les situations. La période de la covid est dans toutes les têtes à la lecture du scénario. Improbable histoire pourrez-vous affirmer ? Pas si certain.
Les salamandres nous interrogent avec humour sur nos libertés individuelles et notre faculté à nous affirmer face à une dynamique de groupe. Graham, le héros, résiste, s’oppose. Et vous ? Que feriez-vous à sa place ? Les références cinématographiques fusent tout au long de cet album intriguant et pas si loin que cela de la réalité. John Carpenter, mais également et surtout Adam Mckay avec le génial« Don’t look up » avec Leonardo DiCaprio, Meryl Streep et Jennifer Lawrence à l’affiche. Le point commun entre ce film et l’œuvre de Julien Frey et Adrian Huelva ? D’abord l’absurde, puis la une fois ce choc comique absorbé, le questionnement. Le questionnement sur nos sociétés et leur capacité à prendre les mauvaises décisions, à gouverner par la peur et à créer de l’angoisse collective induite par leur volonté de rester à tout prix et par tous les moyens au pouvoir.
Les salamandres sont un régal de lecture. L’apparition d’un virus et l’obéissance au pouvoir qu’elle engendre, renvoient à l’analyse des décisions et des communications gouvernementales prises. Cette réflexion met en lumière un écart entre l’intérêt des peuples – et surtout de leurs dirigeants – et la défense de la liberté. Sous couvert de protection et de bienveillance collective, les autorités gouvernement par le mensonge et la manipulation. La malveillance rejoint l’absurde et donne un savant cocktail angoissant qui finit par diviser les sociétés jusqu’au cœur même des communautés et des familles.
Non, « Les Salamandres » de Julien Frey et d’Adrian Huelva, n’est pas une bande dessinée à prendre à la légère. Elle pourrait être un avant-goût de notre futur, ou bien un arrière-goût de notre passé.
Le crétin.

De Jean-Yves Naour et Cédrick Le Bihan – aux éditions Grand Angle
En 1980, l’ancien acteur Ronald Reagan est élu président des Etats-Unis d’Amérique. Dans les rangs républicains certains n’en reviennent toujours pas qu’un type qu’ils considèrent comme un crétin ait pu parvenir à un tel résultat. Et force est de constater qu’ils ont plutôt raison de s’inquiéter… Incapable de se concentrer, maîtrisant mal ses dossiers et s’intéressant finalement assez peu à sa mission, Ronald Reagan n’est pas vraiment un bourreau de travail. Amateur de grasses matinées et inconditionnel de la sieste, il préfère passer ses week-ends dans son ranch plutôt que de potasser les thématiques du prochain sommet de crise. En revanche, c’est une bête de communication. Il multiplie les blagues – qu’il collectionne et apprend par cœur – et apparaît comme un président symbolique. Ce qui lui permet au passage d’être réélu pour un second mandat…
Pourtant Ronald Reagan n’est pas vraiment le prototype du mec cool. Tandis que sa politique néo-libérale se fait durement ressentir au sein des classes moyennes, il met fin à la Détente et relance la course aux armements avec l’URSS. Ronald Reagan s’est-il fait passer pour plus bête qu’il n’était ? Ou bien s’agit-il réellement d’un idiot ayant confirmé le célèbre adage « plus c’est gros plus ça passe »…
Dans cette bande dessinée scénarisée par Jean-Yves Le Naour avec Cédrick Le Bihan aux dessins, « tout est absolument vrai et tout est absolument fou », précise le dessinateur. Le scénariste, qui a vérifié l’authenticité des faits relatés, tous aussi invraisemblables les uns que les autres est quant-à lui frappé « par le caractère comique du personnage », un vrai acteur et un communiquant hors pair qui « a dit et fait une quantité d’âneries, mais qui a toujours su rebondir ». Personne ne peut vraiment le détester, il en devient même attachant. C’est sans doute la raison pour laquelle les auteurs utilisent ce côté sympathique et optent pour le second degré plutôt qu’une approche réaliste pour traiter des sujets qui, à l’époque, étaient très sensibles, notamment avec la crise des euromissiles.
Une part de l’histoire américaine est donc contée à travers cet ouvrage brillantissime. Toutes les blagues de Ronald Reagan qui y figurent sont vraies. Un travail de quasi-historien hisse la BD au rang de livre de référence sur le comportement d’un des hommes les plus puissants de la planète à cette époque, dans un pays ou tout est possible, le pire comme le meilleur. Chapeau bas aux deux auteurs.
Habemus Bastard ( Volet 2)

de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann
aux éditions Dargaud
Second volet des aventures de Lucien, ancien malfrat devenu curé par intérim pour échapper à son passé. L’air de rien, ce truand en cavale s’installe pour le mieux dans la peau de son nouveau personnage, même s’il ne maîtrise par totalement les codes des cérémonies religieuses et même si parfois le naturel revient vite au galop avec la mise en place d’un petit trafic de drogue qui prolifère. Tout roule donc pour ce curé de campagne, loin des villes et de leur mafia.
Or, toute la littérature du monde montre que le passé de tout héros lui revient en pleine face tel un boomerang. Habemus Bastard ne fait pas exception à cette règle et le nouveau curé aux méthodes de confession pas très catholiques va bien au-delà de ses obligations religieuses, ce qui lui ouvre les portes d’une vie avantageuse, mais de nouveau très risquée. Lui qui voulait se mettre au vert dans l’immensité du manteau blanc du Jura, c’est raté ! Ainsi il attire une nouvelle fois les regards et les gendarmes. Son passé va refaire surface et le projeter au cœur de nouveaux règlements de compte à OK Corral où il devra affronter des ennemis variés comme s’il en pleuvait (ou plutôt comme s’il en neigeait). Il y a un brin de conquête de l’Ouest dans cette conquête du Jura ; Saint-Claude ressemble étrangement à Tombstone. Mais la comparaison pourrait ne pas s’arrêter aux nombres de protagonistes présents lors de la fusillade finale ! Laissez votre imagination vous guider à travers les âges du cinéma, de Sergio Léone à John Sturges, de Quentin Tarantino à Christopher Nolan…
L’humour noir et les dialogues percutants marquent cette suite avec une intrigue qui culmine dans des confrontations pour le moins explosives. Le scénario reste dynamique et notre héro devra faire à nouveau appel à ses réflexes de gangster pour surmonter ces nouvelles épreuves et sauver sa peau. De l’action et des rebondissements sont au menu de cette BD où le héros pourrait s’en remettre au divin pour arriver à ses fins.
Le diptyque bénéficie du trait expressif de Vallée et du ton caustique de Scwartzmann, offrant un mélange unique de polar, comédie et critique sociale. Une lecture idéale pour ceux qui apprécient les récits décalés et grinçants.
Bertille & Lassiter

Eric Stalner – aux éditions Grand Angle
les parutions de « Bertille et Bertille » et de « 13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter », Eric Stalner nous plonge à nouveau dans son univers sépiaïsé et agrémenté d’habiles touches de rouge, mettant en avant le personnage principal de cette nouvelle intrigue : la boule rouge, celle arrivée sur terre dans le premier volet. Un mot sur ce subtil clin d’œil visuel qui agit comme une signature, un fil conducteur liant les planches et les tomes. Discret, marquant, il capte l’œil du lecteur, accentue la tension dramatique et dynamise l’énigme.
L’intrigue, parlons-en. Premier volet parisien. À la fin des années 1920, le commissaire Bertille rencontre par hasard Bertille, jeune fille de bonne famille lors de l’apparition d’un étrange phénomène. Deuxième volet américain. Quarante ans plus tard, Jonathan Lassiter, jeune Américain un peu paumé rencontre lui aussi par hasard Edward dans un bar. Après une nuit mouvementée, il doit rapidement fuir le Nebraska et les États-Unis. Troisième volet breton. Pour tenter d’effacer son passé, Lassiter, installé depuis quelques mois à Paris, décide un jour de prendre un train pour la Bretagne. Il tombe sur Bertille et Bertille. Pur hasard ? Rien n’est moins sûr, car comme disait Einstein « le hasard c’est Dieu qui se promène incognito ».
Eric Stalner mêle donc les aventures des héros des deux premiers volets pour les faire se rejoindre, même s’il est possible de lire cette intrigue sans avoir connaissance des deux précédentes. Le charme présent dès le début de la série continue de faire mouche ; la boule rouge y étant bien évidemment pour quelque chose ! Plus qu’intriguante elle est captivante. Le récit débute dans l’univers du polar pour se clôturer dans celui du fantastique, de Paris au large de Saint-Quay-Portrieux, d’une tempête de neige à l’autre. Le scénario, dynamisé par un dessin visuel et vivant, entraîne le lecteur dans une succession d’événements qui, une fois de plus, renvoie à des références cinématographiques indéniables. Île au large de la tempête, maison de maître au milieu des champs, passages secrets, humour cinglant, vieux flic à la retraite, américain à Paris, tous les codes du 7ème art sont subtilement maîtrisés et mis en scène par Eric Stalner, pour notre plus grand plaisir. Mais avant tout, ce qui est marquant dans ce nouveau récit, c’est la victoire finale de la beauté et de l’amour. La beauté, tout d’abord, avec des décors magnifiquement mis en valeur à travers les traits des somptueux dessins de Stalner ; puis l’amour – toujours en encore – celui de ce couple surprenant composé d’un commissaire à la retraite et d’une aristocrate en pleine force de l’âge. Un amour prolongé par l’existence de cette devenue fameuse boule rouge, qui, comme par miracle, vient en aide à ce couple de manière à ce que leur lien ne soit jamais brisé. Le fantastique au chevet de l’amour.
L'élixir de Dieu tome 2

De Gihef et Christelle Galland aux éditions Grand Angle
Des bonnes sœurs au passé par toujours catholique, de la prohibition sous la protection divine, un couvent qui passe des marchés avec la pègre pour subsister et le Ku Klux Klan qui pointe le bout de son nez, tel est le cocktail de ces aventures hors normes. Elles se déroulent dans le Massachusetts en 1929 et vont faire revivre un vieil alambic abandonné depuis des années ; une machine artisanale qui servait initialement à la fabrication du rhum. Un nouvel élixir va alors bousculer le quotidien bien réglé des religieuses. Celles-ci vont devoir rivaliser d’ingéniosité pour sauver leur toit. Les nones vont se mettre au travail et se lancer dans la contrebande d’alcool. Une avalanche de problème va alors se déverser sur le couvent.
Mi – Sister Act, mi – Breaking Bad, les pages s’enchaînent à la vitesse des événements, livrant au lecteur une histoire cohérente et rythmée. Dans ce deuxième et dernier tome, les personnages, dont certains charismatiques, s’en donnent à cœur joie pour tirer leur épingle du jeu dans ce couvent aux allures rock n’roll où coups bas et coups de feu se succèdent et s’entrechoquent. Meurtres, enlèvements, séquestrations, incendies criminels, trafic d’alcool, sexe, courses poursuites et vols en tout genre, le tout sous les yeux du FBI et avec la complicité du sheriff local, régissent le quotidien de ce monastère atypique, et ce, pour le plus grand bonheur du lecteur.
Et le Seigneur dans tout ça ! Soyez sans crainte, les religieuses n’oublient pas leur devoir divin et ne manquent ni une répétition de la chorale ni une messe, que celle-ci soit dispensée par le curé ou son remplaçant du moment…
Ajoutez au récit un chat maladroit, une poignée de traitres et quelques revanchards mal intentionnés, et le cocktail détonnant de l’élixir de Dieu vous enivrera sans même le boire…
Disparition en Corse

de Bastier/Lecigne/Cittadini Chez Les Humanoïdes Associés
Les enquêtes de la lieutenante de gendarmerie Louise de Beauvoir débutent ce mois de juin 2024 avec la sortie en librairie du premier tome « disparition en Corse ». Chaque album est annoncé comme étant une enquête conclusive. Celui-ci est co-scénarisé par Jacques Bastier, pseudonyme d’un ancien général de gendarmerie alors que Bruno Lecigne met à profit toute une carrière dans la scénarisation de série policière à succès (Cordier juge et flic, Cassandre…). Le dessin de Toni Cittadini y apporte une touche italienne non négligeable.
L’enquête est menée par une officier de gendarmerie d’Aubagne qui va être contrainte de bousculer ses vacances pour ce dérouter vers l’île de beauté. Entre disparitions inquiétantes, meurtres abjects et vie tumultueuse, Louise de Beauvoir ne recule devant rien pour faire éclater la vérité.
La construction de l’histoire est toutefois bien lancée, débutant par la reprise d’une enquête par Louise de Beauvoir d’une disparition d’une jeune femme 7 ans auparavant. La gendarme, qui promet à sa fille adolescente des vacances en tête à tête, est contrainte de lâcher ses congés à la lecture d’un journal dans lequel elle reconnait sa disparue victime d’un accident de voiture… en Corse. Choix entre vie de famille et poursuite de l’enquête ; ce dilemme est somme toute un grand classique du cinéma et de la littérature policière. L’officier de gendarmerie va y remédier en proposant à sa fille de changer de destination. On imagine alors, sans risque de se tromper, que deux histoires vont s’entremêler, ce qui apporte toujours une richesse scénaristique.
L’idée originale de faire évoluer le personnage principal au gré de ses affectations sur tout le territoire national, d’une région à l’autre, apparait comme attrayant. Bruno Lecigne le souligne « cela permet de situer les histoires dans un coin de France différent chaque fois, mais aussi de combiner les petits et les grands événements d’un personnage ». Dans les tomes suivants, sont annoncés « des intrigues qui prennent pour arrière-plan les incendies de pinèdes en Provence ou la pratique du wingsuit dans les Alpes ». Ce tour de France de l’enquête n’en est qu’à son prologue, nul doute que les prochaines étapes, même corsées, apporteront leur lot de paysages attractifs et d’intrigues mystérieuses.
Habemus Bastard

« Habemus Bastard » de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann – aux éditions Dargaud
A Saint-Claude, depuis peu, la messe ne dure que dix petites minutes et le curé, fraichement débarqué, utilise des méthodes – comment dire – peu orthodoxes et en léger décalage avec les codes et habitudes cléricaux en vigueur. L’explication ? Un gars pas très catholique en cavale a pris, dès les premières pages, la place d’un prêtre en cours d’affectation dans le diocèse, en l’éliminant froidement pour mieux assurer sa couverture. Le problème ? Il faut qu’il préserve la continuité de la vie religieuse de la ville, et ce, sans une once de compétence en la matière. Ainsi, seule sa soutane le protège de son passé et lui apporte crédibilité dans ses nouvelles fonctions.
Ce personnage central, solitaire, froid et au passé méconnu, n’est pas sans rappeler ceux de certains films de Sergio Léone (le bon, la brute, le truand) ou de Luc Besson (Léon) voire de John Woo (Volte-face) lorsque Nicolas Cage prend lui aussi la soutane. Ajoutez au récit une ambiance hivernale proche d’un des meilleurs polars de Christopher Nolan (Insomnia) ou des frères Cohen (Fargo) et le décor est planté. L’atout de la BD est sans conteste son aspect très visuel. Le dessin de Sylvain Vallée est au rendez-vous et transporte le lecteur dans un univers très proches de celui du cinéma. Gros plan, contre-plongées, visages travaillés, sens du détail, enchainement des scènes, il ne manque que les travelings ! Cette maitrise respire le réalisme.
Un scénario efficace, un dessin dynamique, rien ne manque dans ce premier opus. Les méthodes décalées du curé sont rapidement remarquées des paroissiens et des habitants de Saint-Claude. L’homme de Dieu, reprenant confiance en lui, entreprend alors de participer à la vie locale, à sa manière, s’investissant particulièrement dans la reconstruction de l’église et dans la construction de sa propre image, en passant par le règlement de quelques conflits. Il ne s’encombre pas de scrupules, mais il apparait évident que cette nouvelle foi en lui, qui satisfait à la fois son égo et certains de ses nouveaux confidents (ou confidentes !), devrait l’exposer à une certaine lumière, non divine celle-ci, qui éclairerait le chemin à ses ennemis.
A la grâce de Dieu !
Le gigot du dimanche

« Le gigot du dimanche » de Philippe Pelaez et Espé – aux éditions Grand Angle
En ce 17 mai 1981, comme tous les dimanches, Pilou et ses parents se rendent au traditionnel repas familial pour y déguster le gigot préparé avec amour par l’arrière-grand-mère. Celle-ci est la seule à pouvoir encore réunir toute la famille. Les dissensions qui fracturent le clan sont d’ailleurs, en ce lendemain de l’élection de François Mitterrand à l’Elysée, plus exacerbées que jamais. Entre frères et sœurs on ne se fait pas de cadeaux, et pas seulement lorsqu’il est question de politique !
Et pour pimenter le menu, au milieu de tous ces désaccords et autres débats idéologiques, tous sont aux aguets. Car, l’arrière-grand-mère cacherait un magot de Louis d’or. Les désaccords familiaux ne sont donc laissés de côté que pour toute alliance de principe permettant de localiser le précieux trésor. Entre coups bas et coalition, au cœur de la vie d’une famille française de l’époque, dont on imagine aisément qu’elle n’est pas la seule à agir et interagir de la sorte, les échanges sont à la fois burlesques et pathétiques.
L’œuvre de Pelaez et Espé est un véritable flash-back au début des années 80. 1981, année historique avec ses codes, ses idées, ses contradictions, ses invraisemblances, ses regards biaisés, ses travers, ses idéologies, ses espoirs… Quelle ambiance ! Et quel délice ! Il y a un léger vent d’« un air de famille » qui souffle sur cette BD. On en redemande donc, car le tout constitue une tranche de vie tellement réaliste des échanges familiaux de cette époque, avec cette pointe d’humour alliée à quelques rebondissements croustillants.
L’essentiel du récit se déroule donc une semaine après cette élection historique, alors que le pays traverse une période de crise économique sans précédent depuis 30 ans. Un vrai vent de panique, qui se matérialise par une fuite massive des capitaux, envahit le pays.
De ce fait, au même moment, au cœur de la famille de Pilou, le capital de l’arrière-grand-mère devient un sujet d’actualité et met en lumière les rivalités et les ententes de circonstances.
Le gigot du dimanche masque le menu de la semaine et devient, le centre névralgique des tensions nerveuses de cette famille typique. Un régal !